POUR COMPRENDRE LES MEDIAS

Le message c’est le médium
Pour le sociologue canadien Marshall McLuhan, dans son ouvrage « Pour comprendre les médias » paru en 1964, le fait essentiel de la communication, c’est la communication elle-même et ses médias (langage, argent, imprimé, mode, télévision ou cybernétique), plutôt que le message communiqué. McLuhan prend l’exemple de la lumière électrique et du chemin de fer pour illustrer son propos. La lumière électrique est de l’information pure. C’est un médium sans message, tant qu’on ne l’utilise pas pour épeler une marque ou une publicité verbale. Ce fait, caractéristique de tous les médias, signifie que le contenu d’un médium, quel qu’il soit, est toujours un autre médium. Le contenu de l’écriture c’est la parole, tout comme le mot écrit est le contenu de l’imprimé et l’imprimé, celui du télégraphe.

Ce qui préoccupe Marshall McLuhan, ce sont les effets psychologiques et sociaux des modèles ou des produits en tant qu’accélérateurs ou amplificateurs des processus existants. En effet, le message d’un médium ou d’une technologie, c’est le changement d’échelle, de rythme ou de modèles qu’il provoque dans les affaires humaines. Le chemin de fer n’a pas apporté le mouvement, le transport, la roue ni la route aux hommes, mais il a accéléré et amplifié l’échelle des fonctions humaines existantes, crée de nouvelles formes de villes et de nouveaux modes de travail et de loisirs. Et cela s’est produit partout ou le chemin de fer a existé, que ce soit dans un milieu tropical ou polaire, indifféremment des marchandises qu’il transportait, c’est-à-dire indifféremment du contenu du médium « chemin de fer ». L’avion, lui, en accélérant le rythme du transport, tend à dissoudre la forme « ferroviaire » de la ville, de la politique et de la société, et ce, indifféremment de l’usage qui en est fait.

Pour revenir à la lumière électrique, qu’on l’utilise pour la neurochirurgie ou pour éclairer un match de baseball, cela n’aucune importance. Selon McLuhan, on pourrait même dire que ces occupations sont d’une certaine façon le contenu de la lumière électrique puisqu’elles ne pourraient pas exister sans elle. Cette évidence ne fait que souligner l’idée que « le message c’est le médium » parce que c’est le médium qui façonne le mode et détermine l’échelle de l’activité et des relations entre les hommes. Les contenus ou les usages des médias sont divers et sans effet sur la nature des relations humaines. Pour McLuhan, ce n’est que récemment que les entreprises ont pris conscience du type d’affaires qu’elles traitent. La General Electric tire une partie importante de ses profits de la vente d’ampoules électriques et de systèmes d’éclairage, mais elle n’a pas encore découvert que sa véritable activité consiste à transporter de l’information.

Si la lumière électrique échappe à l’attention comme médium de communication, c’est précisément qu’elle n’a pas de « contenu », et c’est ce qui en fait un exemple précieux de l’erreur que l’on commet couramment dans l’étude des médias. En effet, on ne voit enfin la lumière électrique comme médium que lorsqu’elle sert à épeler quelque marque de commerce. Et à ce moment, ce n’est pas la lumière elle-même mais son contenu (et donc, en réalité, un autre médium) qui frappe l’attention. Le message de la lumière électrique, comme celui de l’énergie électrique pour l’industrie, est absolument radical, décentralisé et enveloppant. La lumière et l’énergie électrique sont distinctes des usages qu’on en fait. Elles abolissent le temps et l’espace dans la société, exactement comme la radio, le télégraphe, le téléphone et la télévision, et imposent une participation en profondeur.

Le message, c’est-à-dire le contenu de la communication, est accessoire : le véritable message, c’est le média qui le délivre en soi, exerçant une action d’autant plus profonde qu’il nous échappe. Pour Marshall McLuhan, les technologies qui constituent notre environnement sont le prolongement de nos organes physiques et de notre système nerveux, destinés à en accroître la force et la rapidité.

Les médias chauds et les médias froids
Dans son ouvrage « Pour comprendre les médias », Marshall McLuhan différencie les médias chauds comme la radio ou le cinéma, des médias froids comme le téléphone ou la télévision. Un médium est chaud lorsqu’il prolonge un seul des sens et lui donne une haute définition. En langage technique, la haute définition porte une grande quantité de données. Le téléphone est un médium froid, ou de faible définition, parce que l’oreille ne reçoit qu’une faible quantité d’information. La parole est un médium froid de faible définition parce que l’auditeur reçoit peu et doit beaucoup compléter. Les médias chauds, au contraire, ne laissent à leur public que peu de blancs à remplir ou à compléter. Ils découragent par conséquent la participation alors que les médias froids la favorisent. Il va donc de soi qu’un médium chaud comme la radio a, sur celui qui s’en sert, des effets très différents de ceux d’un médium froid comme le téléphone.

La télévision
Pour Marshall McLuhan, la télévision est un médium froid et le mode de l’image de télévision n’a rien de commun avec le film ou la photographie. Devant la télévision, le spectateur est écran. Il est bombardé d’impulsions lumineuses. L’image de télévision est visuellement pauvre en données. L’image de télévision n’est pas une image fixe. Ce n’est d’aucune façon une photographie, mais un contour sans cesse en formation qu’esquisse le faisceau cathodique. Pour McLuhan, le contour plastique tracé par ce faisceau apparaît par « trans-lumination » et non pas par « il-lumination » et l’image ainsi formée a qualité de sculpture et d’icône, plutôt que d’image picturale ou photographique. L’image de télévision propose à chaque seconde trois millions de points au téléspectateur qui n’en retient à chaque instant que quelques douzaines pour en composer une image.

Pour Marshall McLuhan, la télévision a vu disparaître la fidélité inconditionnelle à un parti politique, forme de spécialisation et de fragmentation devenue impraticable. Au lieu du bloc partisan, nous avons désormais l’icône, l’image englobante. Au lieu du point de vue ou du programme politique, nous avons l’attitude ou la conduite politique globale. L’image de télévision a assuré la suprématie du contour embrouillé et flou, qui est le stimulant par excellence de la croissance et de l’établissement de nouvelles structures de perception, en particulier dans une culture de consommation basée depuis longtemps sur des valeurs visuelles nettes, isolément de tous les autres sens.

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